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Une vie pas si banale!
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10 avril 2007

Reconnaissance (1)

En France, dans le milieu professionnel, il est difficile d’obtenir une once de reconnaissance pour notre travail. Ce n’est pas dans notre culture.

A l’hôpital, lorsque vous y travaillez, il ne faut jamais attendre le moindre signe de reconnaissance de votre hiérarchie : je ne suis même pas certaine que les différentes directions connaissent l’existence de ce terme !

Heureusement, pour les soignants, il existe la reconnaissance des malades et ça c’est inestimable.

J’ai décidé de vous en faire les récits. Le premier, celui qui suit, remonte à une quinzaine d’années.

Lorsque je travaillais en Réanimation, nous avions souvent des patients siciliens qui venaient pour des greffes hépatiques.

Un jour, nous recevons dans le service, un sicilien de 50 ans. A l’époque, les patients greffés étaient enfermés dans une chambre “stérile” et ne pouvaient recevoir de visites durant les premiers jours.

Je m’occupe de ce monsieur et trouve qu’il est triste, dépressif et se laisse lentement glissé.

Comme il ne parle pas un seul mot de français (et moi, pas un seul d’italien !) la discussion est difficile. Je m’adapte et, tout en gardant ma bonne humeur et mon dynamisme, lui fait comprendre plusieurs choses en parlant lentement et en mimant. Comme à mon habitude, je le “bouscule” un peu tout en gardant de l’humour, de la gentillesse et de la disponibilité.

Les jours passent et : ses yeux commencent à s’éclairer, puis sa bouche ébauche quelques tristes sourires, puis il accepte de quitter son lit, puis il se lève seul, puis il m’accueille, chaque jour, debout avec un salut militaire, un grand sourire et un tonitruant “Commandanté”. Cela c’est déroulé sur plusieurs semaines mais l’amélioration était visible de jour en jour.

Ce patient est ensuite parti dans un autre service et je l’ai oublié. Je m’étais occupé de lui comme je le faisais de tous les autres.

5 ans plus tard, j’étais dans une chambre à réaliser des soins quand ma surveillante vient me chercher : “Anecdote, un monsieur souhaite te voir en salle d’attente”.

Me voir ? Un monsieur ?... Nous sommes le matin et les visites ne sont autorisées que l’après-midi…

Je termine mes soins avec des questions plein la tête puis me dirige vers la salle d’attente.

De loin, j’entends des discussions. Ils sont plusieurs et parlent italien. Il y un couple d’une cinquantaine d’années ainsi qu’un jeune homme et 2 jeunes filles. Ils se ressemblent, ce doivent être les parents et les enfants. Mais je ne reconnais personne…

Le regard du monsieur plus “âgé” croise alors le mien et, tel un diablotin jaillissant de sa boîte, se lève avec un immense sourire, fait un salut militaire et me crie “Commandanté !”.

Là pas de doute, je sais de qui il s’agit. Il a reprit du poids, des couleurs mais c’est bien lui.

Je m’approche, sert les mains de toute la famille pendant que chacun d’eux se met à pleurer… Qu’ai-je fais ? Pourquoi pleurent-ils tous ?...

L’ancien patient se met à parler, toujours en italien, et ses enfants me traduisent ses propos :

Il est venu, hier, voir le chirurgien pour le suivi de sa greffe mais il ne pouvait pas partir sans me voir. Il était déjà passé la veille mais c’était mon jour de repos et il avait donc décidé de repousser d’une journée son retour en Sicile. Il avait économisé sur plusieurs années pour avoir assez d’argent pour que sa femme et ses enfants fassent le voyage avec lui et me rencontrent. S’il était vivant, c’était grâce à moi. Oui, après la greffe il n’avait plus le cœur à rien, il se sentait fatigué, douloureux et seul dans un pays étranger où personne ne parlait sa langue. Il voulait mourir pour ne plus rien sentir. Puis je m’étais occupé de lui, l’avait “secoué”, lui avait fait comprendre qu’il fallait qu’il s’en sorte : pour lui mais aussi pour sa famille qui comptait sur son retour… Tout ça il ne l’avait jamais oublié et il ne l’oublierai jamais. L’histoire de l’ “Infirmière Commandanté” avait fait le tour de sa famille et de son village.

Ils venaient tous me remercier en me serrant dans leurs bras, en m’embrassant, en pleurant, en levant les bras au ciel pour implorer le Seigneur….

Ces retrouvailles ont durées ½ heure, puis ils sont partis en me disant que je serai toujours la bienvenue en Sicile : car j’étais, maintenant, de leur famille, de leur village, de leur Pays….

Je ne les ai jamais revus mais, ce jour-là, j’ai eu le sentiment d’être réellement à ma place, professionnellement parlant.

Mes collègues m’ont posé des questions : « C’était qui ? », « Qu’est-ce qu’ils te voulaient ? »… Je n’ai pas répondu, c’était mon cadeau, mon secret.

Je suis retournée auprès des patients, l’œil humide mais le cœur léger et, je l’avoue, un petit sourire de satisfaction sur mes lèvres…

Re2

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Commentaires
A
Merci. Je pense, en effet, que c'est la marque de reconnaissance la plus émouvante de toute ma carrière.
D
Quelle belle preuve de reconnaissance. J'ai hâte de lire tes autres récits. Très émouvant.
N
c'est magnifique, vraiment très émouvant!<br /> c'est vrai que l'on a plus de reconnaissance de la part des patients que de nos supérieurs
K
elle est vraiment chouette ton histoire !
Une vie pas si banale!
  • Finalement, en regardant de plus près, ma vie n'est peut-être pas aussi banale qu'elle y paraît! Mes joies, mes peines, mes découvertes, mes expériences... qui peuvent, j'espère, servir à d'autres. Altruiste? Et alors...?
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